Un spectacle inouï

Pour qui n’est jamais venu à Madrid pendant les semaines (j’oserais les mois) qui précèdent Noël, le spectacle a de quoi surprendre…

Nous ne sommes pas en Pologne dans les années 80, vous n’avez pas entendu d’annonce alarmiste de guerre nucléaire ou de fin du monde imminente, il n’y a pas non plus l’air d’avoir une promotion monstre pour liquidation totale avant cessation d’activité dans les parages et pourtant… Non, vous ne rêvez pas, la queue qui s’échappe de cette échoppe fait bien tout le tour du pâté de maison sur la Gran Via, une des avenues les plus fréquentées de la capitale espagnole.

Pour qui ne compte aucun Espagnol parmi ses proches, pas moyen de comprendre. Pour celui qui en connaît personnellement en revanche, passée la surprise, la raison de l’attroupement apparaît rapidement.

- J’ai fini par m’habituer pour ma part au fait qu’un docteur en sciences soit capable de courir chaque vendredi soir pour arriver avant la fermeture des magasins, acheter, éreinté, un billet d’Euromillions, où il a (à peu près) 0,00000000013 chances sur mille de gagner, et ressortir du kiosque, délesté de 2 € mais plus riche, l’espace de quelques heures, de l’espoir de ne pas avoir à aller au bureau le lundi suivant.

- Je n’ai presque pas tiqué lorsque mon médecin a quitté la consultation pour apporter sa participation à la loterie que lui réclamaient ses collègues.

Alors, lorsque j’ai fini par lever le nez et apercevoir le logo de la française des jeux (enfin l'équivalent espagnol) sous le nom de la boutique, Doña Manolita, et que j'ai réalisé qu'on approchait de Noël, il ne m'a pas fallu faire beaucoup d'efforts (je suis blonde mais quand même) pour deviner que ce qui se vendait comme des petits pains étaient des billets de loto.

Oui, les Espagnols sont accrocs à la loterie.

Et à Noël, ce peuple, peut-être plus traditionaliste que superstitieux communie en un seul vibrant espoir devant le tirage de la Lotería de la Navidad (Loterie de Noël), la plus grosse cagnotte mise en jeu dans l’année et dans le monde, surnommée El Gordo (le gros). Chaque Espagnol dépense en moyenne 110 € en loterie (qui a dit en c**rie ??) pour les fêtes.

Incompréhensible passé les frontières

Institution remontant à 1812 (ou 1892 ou 1771 selon les sources mais on va pas chipoter pour une centaine d'années et on retiendra qu'elle existe depuis longtemps), la Lotería de Navidad fonctionne selon un système complexe de numéros partagés qui divise les mises parmi les millions de joueurs porteurs de billets numérotés de 1 à 85 000.

La mise standard, appelée "decimo" est de 20€. Jusqu’ici tout va bien. Et si j’ai bien compris, si les gens font la queue, c’est parce qu’ils veulent un billet avec un numéro en particulier… Or chaque numéro de 1 à 85 000 est répété 170 fois et chacun de ces billets est subdivisé en dix, d’où le decimo. (Vous avez compris ?? parce que je suis pas sûre d’avoir suivi moi-même). Pour cette somme pas trop modique, vous achetez une part de rêve à 3 millions d’€, soit la somme du premier prix, le Gordo, qui donne son nom à la loterie. En tout en 2007, ce sont 2 milliards d’euros qui ont été répartis entre les vainqueurs.

PS : Ne retenez pas ces chiffres, certains d’entre eux changent tous les ans.

Une folie tout ce qu’il y a de plus commune

Ce qui est sûr en revanche, c’est que si les gens font la queue devant chez Doña Manolita plus qu’ailleurs, c’est parce que c’est là qu’a été acheté un des billets gagnants de l’année dernière, qui a rapporté 300 000 € à l’heureux propriétaire du decimo tiré au sort. Enfin, c’est entre autres pour ça mais aussi parce que Doña Manolita est une institution presqu’au même titre que le Gordo lui-même : le kiosque existe depuis 1931 et les superstitieux viennent de partout tous les ans pour acheter leur billet auprès de ce qui est devenu le premier point de vente de decimos d'Espagne !

Certaines entreprises en achètent pour leurs employés et quand ce n’est pas le cas, on se cotise entre collègue pour acheter un certain nombre de billets et se partager les gains. Il est de bon ton dans une famille espagnole d’échanger des decimos (Attention on ne les donne pas car ça ne porte pas chance !).

A l’heure où j’écris, soit 40 jours avant Pâques, euh pardon, avant Noël, certains numéros sont déjà épuisés dans toute l’Espagne : inutile par exemple de chercher les billets portant le chiffre 5, car le 5 est sorti 31 fois depuis l'origine de la lotería de Navidad, il est donc le numéro le plus joué. Ne demandez pas non plus les billets porteurs des dates symboliques de l’année (tiens en parlant de jeu de hasard : on parie que cette année, il doit déjà être impossible de trouver le billet portant la date de la victoire de l’équipe nationale de foot à l’Euro 2008 ? ), même les plus morbides sont déjà toutes achetées.

La crise mettra-t-elle le Gros au régime ?

Cette année, les spéculations vont bon train sur l’effet de la crise sur les ventes d’el Gordo…

Après des mois d'inflation galopante (elle a atteint au premier semestre son plus haut niveau depuis 11 ans!), les économistes s’attendent à une baisse des dépenses hormis sur le secteur les biens de première nécessité. Et effectivement, la consommation de ces derniers mois est en baisse notable. Mais qu'on se rassure, que les Espagnols soient obligés de se serrer la ceinture, cela n’a pas l’air d’affecter le gros ! A croire que la loterie est un besoin primaire dans la péninsule !

Les journaux parlent au contraire d’une hausse de 25% des ventes par rapport à novembre 2007, chiffre nuancé cependant par les gérants de Doña Manolita qui assurent avoir des ventes normales, en légère augmentation de 5%.

Affaire à suivre, avec le tirage le 22 décembre en chanson !

La loterie de Noël : le gros le plus populaire d'Espagne

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